La santé chez les sages-femmes et étudiantes sages-femmes

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La sage-femme, une professionnelle de la santé…

 

Depuis le cégep, je suis habitée par l’adage de Gandhi qui dit : « Soyons la différence que nous voulons voir en ce monde ». C’est pour ça que j’ai voulu et que je veux toujours être sage-femme. Pour contribuer à vivre dans un monde avec plus de sens, de sacré, de conscience et pour que les femmes reprennent le pouvoir sur leur santé. Mais force me fut de constater que le processus d’apprentissage et le métier de sage-femme ne sont pas toujours aussi bons pour la santé que je l’aurais souhaité. J’ai constaté en stage qu’il est souvent difficile d’appliquer à nous même ce que l’on conseille aux femmes.

 

Depuis mon congé de maternité, je vois les offres de postes se multiplier dans presque toutes les maisons de naissance. Beaucoup partent en congé de maternité, certes, mais beaucoup d’autres aussi partent en congé de maladie et certaines quittent carrément la profession. Même constat chez les étudiantes. Il semble aussi que plusieurs sages-femmes, après 4 ou 5 ans de pratique, se tournent vers des postes de gestion ou d’enseignement. Cela me mène à croire que la communauté étudiante et sage-femme semble vivre une certaine « crise de santé ». De quelle manière peut-on donc être sage-femme ou étudiante et demeurer saine de corps et d’esprit ? Je ne prétends pas détenir les réponses, je souhaite seulement soulever certaines questions.

 

Le congé de « maladie » en question

 

On dit que dans la Chine ancienne, les médecins étaient payés lorsque leurs patients étaient en santé et non lorsqu’ils requéraient des soins. Mythe ou réalité ? Peu importe, cet adage met en évidence l’incohérence de notre système de « maladie » contemporain. Comment se fait-il que nous ne puissions pas prendre des congés de santé préventifs afin de nous « refaire une santé » au moment où on se sent devenir plus fatiguée, plus fébrile ou si on n’a simplement plus le cœur à l’ouvrage ? Parfaitement inscrite dans cette logique de système de « maladie » et non pas de santé, notre entente actuelle ne nous permet pas de prendre de congé sans solde. Notre seule option en situation de santé fragile est donc d’attendre d’être au bout du rouleau, en burnout, pour se voir reconnaître le droit de prendre soin de notre santé fondamentale face à nous-mêmes et à nos pairs, alors que notre santé est hypothéquée et qu’il faudra forcément un long congé pour nous remettre sur pied… Alors qu’il est finalement trop tard.

 

L’héritage judéo-chrétien

 

Que l’on en soit conscient ou non, notre héritage culturel catholico-judéo-chrétien joue énormément sur notre construction collective du mythe de la bonne sage-femme. Celle-ci, anciennement sœur et religieuse « entièrement dévouée », sert les femmes par amour et vocation, et exerce une influence plus ou moins importante sur chacune d’entre nous. Elle est toujours de garde dans la joie et l’amour de ce qu’elle fait parce que pour elle, c’est tellement plus qu’un travail être sage-femme ! Elle est toujours disponible, jamais trop fatiguée, n’a jamais besoin de concilier travail et famille puisque la pratique sage-femme est sa vocation. Si l’on part de l’idée que cette sage-femme est glorifiée, il est normal d’imaginer qu’un grand nombre ne se sentent pas à la hauteur, coupables, essoufflées…

 

Il est facile d’imaginer le malaise que plusieurs sages-femmes peuvent ressentir à mettre leurs limites, là où d’autres n’en mettent pas. Alors, pensons un peu à celle qui prendrait un congé de santé préventive pour prendre soin d’elle… J’entends déjà les commentaires: était-elle vraiment au bout du rouleau, assez pour se « mériter » un tel repos ? Nous avons du chemin à faire pour que celle-là soit reconnue auprès des institutions qui nous dirigent, mais aussi devrons-nous travailler à nous légitimer entre nous-mêmes ! Il me semble difficile d’envisager une réponse positive dans le système actuel, dans lequel un grand nombre de sages-femmes vivent une certaine dose de surmenage sans que cela soit reconnu… Dans un système hiérarchique où la vocation a été institutionnalisée et où les gardiennes de la bonne morale sage-femme (enseignantes, Ordre) ne pratiquent souvent plus depuis plusieurs années.

 

 

Le ressourcement

 

Il est clair qu’accompagner les femmes, les couples et les bébés dans leur grand passage à la famille peut être très nourrissant. Or la vie est parfois imparfaite et tout ne se déroule pas toujours comme les parents ou nous l’aurions souhaité. Dans ces cas-là, même si l’issue est positive, la sage-femme a parfois perdu quelques plumes au détour d’une situation d’urgence intense, d’une série d’accouchements, une accumulation de nuits blanches ou de trop grosses journées de clinique. Il est donc important de s’offrir un espace pour se ressourcer pour une santé fondamentale personnelle et professionnelle. Néanmoins, pour que cela soit possible dans la réalité, il est essentiel que la structure qui encadre nos études et notre pratique reconnaisse cela comme primordial et élève le ressourcement comme élément indispensable à la pratique. Naturellement, pour ce faire, il faudrait prévoir des plages horaires consacrées à cela dans l’équation (ce que je suppose être complexe, mais pas impossible) des sessions et des horaires de gardes.

 

Jeen Kirwen m’a dit un jour qu’avant la légalisation de la pratique, les sages-femmes qui se regroupaient au sein du Regroupement pour la légalisation de la pratique sage-femme s’étaient entendues que, pour être une bonne sage-femme équilibrée, la formation devait être divisée ainsi : un tiers de pratique, un tiers de théorique et… un tiers de RESSOURCEMENT ! Dans la réalité étudiante actuelle, il semble presque inimaginable que cela soit possible et pourtant, c’étaient les conditions d’apprentissage que s’étaient donné plusieurs sages-femmes de cette époque. Malheureusement, nous sommes bien loin de cela au baccalauréat en pratique sage-femme en 2016. Peu d’espaces sont prévus pour respirer, philosopher et se soutenir au travers des multiples travaux à produire. Je me permets de rêver tout haut… Parfois, les rêves font des petits…

 

Le Sisterhood ou les cercles de partage

 

 

Pour que le ressourcement en question soit possible, il est à mon avis essentiel qu’il existe au sein de la communauté sage-femme et étudiante des espaces sans jugement pour déposer les histoires qui nous ont donné chaud, hors des comités péri et des cours de maïeutique, pour apprendre de nos erreurs et de celles de nos sœurs et encore une fois, pour notre santé fondamentale de sages-femmes et d’apprentissages.

 

Comme Jennie Stonier l’expose dans sa réflexion sur le processus d’enquête professionnel (publié en ces pages) : « Afin que l’on puisse être à l’aise pour discuter d’incidents et de questions en lien avec la sécurité, il faut que cela devienne la norme plutôt que quelque chose qui ne se produit que lorsqu’un événement grave a donné lieu à une enquête. Il faut également avoir une garantie que l’on va davantage s’attarder sur l’apprentissage et la prévention plutôt que sur l’identification d’une erreur en vue d’obtenir une sanction. » Pour ce faire, il faut trouver des espaces de partage hors des systèmes hiérarchiques de l’université et des CIUSSS, et penser à une structure de partage horizontale et circulaire.

 

Dans cet esprit, un premier Cercle Yoni a eu lieu cet hiver pour démontrer de la solidarité à une sœur sage-femme vivant une situation difficile. Cela a permis à plusieurs sages-femmes et étudiantes de partager leurs craintes, leurs histoires difficiles, mais aussi, leur soutien, ce qui permet d’élargir l’apprentissage collectif. Je souhaite de tout cœur que ce Cercle ait propulsé le désir d’une longue tradition de rassemblements basés sur le respect, le partage, la confidentialité et le questionnement chez les sages-femmes québécoises, un peu à la manière de la tradition des tentes rouges. Pour partager les accouchements difficiles, nos peurs, nos erreurs et nos incertitudes, pour s’améliorer, se solidariser, mais aussi pour que les sages-femmes cessent de souffrir en silence. En effet, je constate que malheureusement, au nom de la confidentialité ou par peur de la sanction ou du jugement de nos pairs, des sages-femmes vivent de l’isolement. Il est normal et sain qu’il existe une pluralité de visions et de sages-femmes, mais encore faut-il s’en donner le droit et s’accueillir les unes les autres dans nos différences. C’est vrai ! Plus j’assiste à des accouchements avec différentes sages-femmes, plus je réalise qu’une sage-femme doit développer un confort dans différentes façons de pratiquer. Dans chaque équipe, il y a forcément une plus radicale, une plus straight, etc. Mais toutes doivent être de garde ensemble, se soutenir. Dans le contexte actuel, le besoin de se solidariser est criant, parce qu’on accompagne toutes la Vie et parfois la Mort et que les histoires difficiles doivent être partagées et portées par un plus grand nombre pour éviter qu’elles ne se transforment en anxiété généralisée et en burnout !

 

Conclusion

 

Depuis un peu plus de 6 mois, je suis en congé de maternité, ce qui me donne un peu de perspective sur la pratique et les apprentissages. Je crois encore que j’ai choisi le métier le plus extraordinaire du monde ! Je reconnais tout le travail qui a été fait par les pionnières sages-femmes et je sais que ma génération aura d’autres combats à mener. Je nous souhaite de le faire dans le respect de nous-mêmes et des femmes, dans la reconnaissance de la différence et la solidarité féminine. Parce que j’ai moi-même plusieurs fois dépassé la limite « saine » et parce que les sages-femmes qui étaient présentes à mon accouchement sont depuis en congé de maladie. Parce que je veux être sage-femme, du plus profond de mon cœur et pour longtemps !

 

Mayou Soulière

Mayou SoulièreAprès avoir été accompagnante à la naissance
pendant près de 4 ans au Collectif les Accompagnantes de Québec, Mayou est maintenant étudiante sage-femme. Elle
a mis son premier enfant au monde en juillet 2015 et savoure actuellement son congé de maternité.


3 Commentaires

  1. Claudine
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  3. Valérie Leuchtmann

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