Approches féministes en santé
Le 5 décembre passé, nous étions une belle gang d’étudiantes sages-femmes, de sages-femmes et d’accompagnantes à la naissance réunies autour d’une table à la Maison Parent-Roback pour nourrir une réflexion autour du féminisme dans les soins de santé et de son implication dans la pratique des sages-femmes. Cet atelier, donné dans le cadre des formations offertes par l’AÉSFQ, était animé par deux femmes totalement inspirantes, Lydya Assayag et Isabelle Mimeault, du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF). Cet organisme est un vrai bijou, engagé dans la promotion d’une approche globale de santé et dans la défense des droits des femmes, valorisant leur autonomie et leur savoir quant à leur propre santé. Le RQASF a pour mission d’outiller les femmes et de conscientiser la société aux enjeux féministes en matière de santé en offrant de l’information objective par le biais des réseaux sociaux, de formations et d’ateliers, en plus de prendre la parole auprès du gouvernement et des institutions.
Paradigme biomédical et mise à l’écart des femmes
En début de journée, nous avons donc eu droit à une petite histoire de la santé et des différents facteurs ayant contribué à la mise à l’écart des femmes de ce domaine. L’installation du paradigme biomédical, du morcellement des corps où le seul objectif est de réparer, de traiter avec la pharmacologie et les techniques disponibles, sans égard à la globalité de l’être. Au nom de la science, tirer profit des avancées technologiques à tout prix, au détriment du bien-être et du respect des femmes. Contrôler le corps de celles qui portent la vie, de celles qui prennent soin de la relève, n’est-ce pas une bonne façon de contrôler la société? En leur enlevant toute confiance, tout pouvoir, en contrôlant jusqu’à leur image corporelle, il n’était plus à craindre qu’elles viennent ébranler la structure d’efficacité, de rentabilité et d’uniformité mise en place pour « soigner ». Aujourd’hui même, dans nos sociétés supposément égalitaires et évoluées, on retrouve cette mainmise du corps médical dans tout ce qui touche la santé des femmes, de la puberté jusqu’à la ménopause, en passant (ô combien!) par la maternité. Lydya et Isabelle nous ont illustré à quel point le contrôle de l’information est crucial et que beaucoup de médias, en quête de sensationnalisme, n’offrent pas toujours un discours objectif. Il est la plupart du temps basé sur la peur. Les statistiques sont une arme à double tranchant qu’on peut utiliser à sa guise et qui souvent, sorties de leur contexte, servent des discours biaisés qui influencent pourtant la vie de milliers de femmes à travers le monde. À nous d’être alertes, allumées, sceptiques, de nous interroger, de nous abreuver de sources fiables, indépendantes, crédibles pour partager de l’information juste aux femmes, avoir une pratique saine et reprendre possession de notre pouvoir sur nos corps et nos vies de femmes.
Violence obstétricale
En après-midi, Lorraine Fontaine du Regroupement Naissance-Renaissance (RNR), nous a gracieusement partagé son expérience sur la violence obstétricale. De tous ses talents de conteuse, elle nous a raconté les femmes et leurs expériences douloureuses, inimaginables, mais vraies. De l’humiliation, de la peur, des accouchements volés, des traumatismes toujours présents des décennies plus tard pour certaines. Au cours de sa tournée du Québec dans le cadre du projet maternité et dignité (voir le site web du RNR), Lorraine a rencontré ces femmes qui ont osé briser le silence et révéler l’impact majeur que ces violences ont sur l’expérience d’enfantement des femmes. La violence obstétricale commence enfin à être reconnue, mais demeure une problématique émergente au Québec. Hélène Vadeboncoeur, chercheuse québécoise de renom, la définit comme suit :
« La violence obstétricale, une forme de violence systémique et institutionnelle, consiste en une intervention ou son absence par laquelle un ou une professionnelle de l’obstétrique cherche à contrôler une femme en train d’accoucher en utilisant des moyens de différents ordres, par exemple physique : la force, la contrainte; ou des dimensions psychologiques : la menace de force, l’intimidation, le dénigrement, l’hostilité, ou un geste posé sans son consentement libre et éclairé et explicite. (Dossiers de l’obstétrique, 2003, n° 317) »
Ainsi, les femmes et les professionnels de la santé pénètrent dans ce cercle de violence induit par une organisation des soins inadéquate, des pratiques inutiles, voire dangereuses, mais considérées « normales » et des protocoles qui ne répondent pas aux besoins individuels, faute de temps et de ressources. La violence obstétricale n’est donc pas le fait d’individus, mais d’un système, d’une société. L’organisation de la pratique et la philosophie des sages-femmes au Québec sont en quelque sorte une protection contre celle-ci, mais j’aimerais simplement inviter toutes celles qui liront ce texte à demeurer conscientes et vigilantes, à ne rien tenir pour acquis, afin que la violence ne se faufile pas dans une faille, car personne n’en est à l’abri.
L’approche globale et féministe de santé
L’approche globale et féministe de santé telle que présentée par le RQASF repose sur 8 « idées-forces » (voir le document Changeons de lunettes! sur le site web du RQASF) :
- Elle implique une approche holistique, car elle considère que l’être humain est un tout, soit un corps et esprit qui interagit avec son environnement.
- Elle s’ancre dans l’intersectionnalité en tenant compte des spécificités physiologiques et sociales des hommes et des femmes, telles que l’homosexualité, les handicaps, la pauvreté, etc.
- Elle prend en considération les déterminants sociaux de la santé, tels que le revenu, la scolarité, l’environnement, l’émancipation des femmes, l’équité et le logement.
- Elle mise sur la prévention et la promotion de la santé, plutôt que sur le curatif, et croit que la santé relève la justice sociale, donc de l’implication des instances concernées.
- Elle se fonde sur l’autosanté, basée sur le respect, l’égalité et la prise en charge personnelle de sa propre santé.
- Elle considère essentiel le droit à l’autonomie et au consentement éclairé, ce qui implique d’avoir accès à l’information nécessaire.
- Elle encourage le sens critique par rapport aux savoirs universellement admis dans le domaine biomédical.
- Elle est ouverte aux approches alternatives bien réglementées et encadrées pour assurer la sécurité et permettre un réel choix.
Cette manière de concevoir les soins de santé est très inspirante et résonne avec notre philosophie, mais implique un changement de paradigme social important qui mérite qu’on s’y attarde et qu’on participe à ce grand mouvement de réappropriation de la santé des femmes, qui est intimement lié à la légalisation de la profession au Québec. Hé oui, on a du pain sur la planche, mais on est capables! Au terme de cette journée, pas de doute dans notre petit groupe : la profession sage-femme est résolument féministe. Pour ma part, j’ai envie de la réfléchir comme telle, de la nourrir comme telle et de la porter comme telle. <3
Merci à Isabelle, Lydya et Lorraine d’avoir si bien animé cette journée.
Merci à Mélanie pour l’organisation et le délicieux dîner.
Merci à toutes celles qui étaient présentes d’être si inspirantes et engagées.
Quelques suggestions de lecture :
- L’histoire du féminisme raconté à Camille de Micheline Dumont, aux Éditions du remue-ménage (2008)
- Les femmes changent la lutte, sous la direction de Marie-Ève Surprenant et Mylène Bigaouette, aux Éditions du remue-ménage (2013)
- Manuel de résistance féministe, de Marie-Ève Surprenant, aux Éditions du remue-ménage (2015)
- Second début : Cendres et renaissance du féminisme, de Francine Pelletier, Atelier 10 (2015)
Sites web :
http://www.naissance-renaissance.qc.ca