Les rythmes neurologiques et alimentaires du nouveau-né, et leur évolution

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Les rythmes neurologiques et alimentaires du nouveau-né, et leur évolution.                        

Ingrid Bayot, Formations Co-naître®, infirmière et sage-femme de formation belge, Diplôme universitaire en lactation humaine et allaitement maternel (FR).

 

La condition no8 de l’IAB précise : encourager l’allaitement au sein à la demande de l’enfant. De fait, une des clefs pour démarrer et entretenir une lactation est de suivre le bébé, d’allaiter et de ne pas imposer de normes restrictives autour de la fréquence des tétées.

Cependant, l’expression à la demande peut induire l’idée que le nouveau-né ait déjà des demandes précises et donc des appels ou des pleurs clairement différenciés : il y aurait un type d’appels (ou de pleurs) pour téter au sein, un autre pour le besoin de sucer, un autre encore pour être « seulement » pris dans les bras, un autre encore pour changer la couche, etc.

Or le nouveau-né ne peut pas encore différencier ses besoins ; lorsqu’il se réveille, il demande tout : la présence, la chaleur, l’enveloppement, les voix et les odeurs connues, la succion, la déglutition… autant d’expériences et de sensations qu’il a mémorisées au cours des mois. Ses attentes extra-utérines sont globales et conditionnées par les empreintes sensorielles de la vie intra-utérine. Dans un milieu plus rude qu’une maternité ou une chambre douillette, retrouver ces sensations correspond d’ailleurs à ses chances de survie maximum : l’assurance de la chaleur, de la protection et de la nourriture.

Au regard de ses conditionnements de petit mammifère terrestre à sang chaud, la recherche par le nouveau-né de cet ensemble de sensations est vitale et non négociable. La privation engendre un état de détresse important. Parler de « caprices » ou « d’exigences » à ce stade-là est une interprétation erronée, issue d’une puériculture rigide mise au point dans les orphelinats*.

*Voir à ce sujet mon article « Cultures, puéricultures, implication maternelle et allaitement », en ligne sur le site du CIUSSS de l’Estrie http://www.santeestrie.qc.ca/sante_publique/promotion_prevention/perinatalite_petite_enfance/documents/allaitement.pdf

 

Bref, être en relation et se nourrir sont deux besoins vitaux, au départ non différentiés : ils font partie d’un ensemble assurant sa survie. Se demander s’il a besoin du sein ou « seulement » d’être dans les bras n’a pas beaucoup de sens. Au sein, il reçoit tout à la fois : la chaleur, les mouvements, les odeurs et les sons connus, la voix de maman (repères connus, donc sécurisants), le lait qu’il fait venir et qu’il déglutit (nouveautés qu’il apprend durant les premiers jours).

 

Ce que ressent et cherche un nouveau-né de quelques jours, un bébé de quelques semaines ou un bambin de quelques mois n’est pas pareil. Il y a une évolution dans la perception de son corps, de ses besoins et de son environnement matériel et humain, comme il y a une évolution dans ses manifestations et la précision de ses demandes.

 

Pour mieux le comprendre, repartons du tout début, et parcourons avec le bébé quelques étapes clefs.

 

La vie intra-utérine.           

Le bébé est nourri en permanence par voie ombilicale. Il présente des phases d’activités et de repos, de plus en plus différenciées au fur et à mesure qu’il se rapproche du terme. L’enchaînement de ces phases constitue un cycle spontané. Ce n’est pas le degré de remplissage ou de vidange de l’estomac qui détermine la fréquence des périodes actives, mais la maturité du bébé. Dans les dernières semaines de grossesse, les phases d’activité augmentent en fréquence et en longueur; ses mouvements sont plus coordonnés.

Les échographies montrent que, dès la 16e semaine de vie intra-utérine, les fœtus font des mouvements de succion (certains avec leurs mains, leurs pouces ou leurs doigts) et déglutissent du liquide amniotique, déglutition coordonnée avec le péristaltisme œsophagien (c’est le mouvement automatique pour faire descendre ce qui est avalé vers l’estomac). Plus ils approchent du terme, plus l’activité de succion et de déglutition est intensive. Le dernier mois de la grossesse, un fœtus déglutit jusqu’à un demi-litre de liquide amniotique par jour*.

*Voir le cours http://campus.cerimes.fr/maieutique/UE-obstetrique/liq_amniotique/site/html/4.html

C’est dire qu’il a mémorisé les sensations de « bonnes gorgées » et que le débit fait partie de ses attentes sensorielles. Rappelons-nous que le nouveau-né fonctionne avec les conditionnements de survie de l’espèce : débit appréciable = allaitement optimal = meilleures chances de survie.

 

Les tout premiers jours de vie

Le fonctionnement neurologique par cycles persiste après sa naissance : la fréquence, la durée et la qualité des éveils du bébé sont une des manifestations de sa maturité et de l’énergie dont il dispose. Un nouveau-né qui manque d’énergie a tendance à dormir de plus en plus. Un prématuré dort beaucoup et se réveille peu. Un bébé né à terme est capable de s’éveiller plus souvent, plus longuement, et est mieux à même de gérer les multiples informations et sensations nouvelles. Les éveils sont donc :

  • indépendants de la taille de l’estomac ou de son niveau de remplissage,
  • des opportunités pour nourrir le bébé d’interactions et de lait, les deux piliers de son développement psychique et physique.

 

Le nouveau-né arrive avec un bagage de compétences, véritables moyens au service d’une stratégie alimentaire complexe dont la réalisation dépend de la relation avec l’adulte :

  • il s’éveille spontanément et cycliquement, et ses éveils s’accompagnent :
  • de compétences relationnelles : il recherche la présence, le contact, et le montre par ses gestes. S’il n’obtient pas de réponse, il pleure assez fort pour attirer l’attention. Mais pourquoi attendre qu’il pleure pour lui répondre…?
  • de compétences alimentaires : en éveil calme attentif, ou en éveil agité sans pleurs, les réflexes archaïques alimentaires s’expriment. Les plus connus sont les réflexes de fouissement, d’orientation, de succion, de déglutition. Mais un bébé posé en contact peau à peau sur sa mère, de manière à pouvoir prendre appui sur ses mains et ses pieds, démontre une capacité étonnante à trouver le sein.

Le nouveau-né éveillé et en contact intime avec sa mère, respirant les odeurs attractives de son corps et de ses mamelons, est coordonné et coopérant.

Il cherche activement. Ses réflexes sont puissants.

S’il ne trouve pas satisfaction à cet instinct de relation, il pleure assez fort pour faire réagir son entourage. Mais à nouveau… pourquoi attendre qu’il pleure ?

 

Après une naissance physiologique, les bébés à terme et en bonne santé présentent une période d’éveil exceptionnel une heure trente à 2 heures. Ils sont donc particulièrement compétents pour rencontrer leur mère -et père- et pour trouver le sein, s’y placer et téter vigoureusement.

Le tout petit a été nourri par son placenta jusqu’à sa naissance. Ce n’est donc pas le manque d’énergie ni un estomac vide, qui le poussent à chercher le sein, mais bien la qualité de son éveil et les compétences relationnelles, motrices et alimentaires qui entrent en action.

 

Chez le bébé à terme et en bonne santé, dans une continuité sensorielle, sans pertes énergétiques provoquées, et collé sur sa mère ou son père (portage, contact peau-à-peau…), le nombre, la durée et la qualité des éveils sont suffisants pour assurer des prises alimentaires qui comblent ses besoins énergétiques.

Nous pouvons compter sur son rythme d’éveils spontanés : c’est l’allaitement « à l’éveil et aux signes ». Ces signes montrent que le bébé est prêt à faire l’expérience du sein. Cette expérience est encore neuve pour lui, mais la répétition va créer des associations positives et gratifiantes, donc l’envie de recommencer.

Donc, quand il s’agit d’un nouveau-né, l’expression « allaitement à la demande » doit être explicitée « allaitement à l’éveil et aux signes qui montrent que le bébé est prêt à téter ».

 

Cette précision permet d’éviter de se poser trop de questions :

  • sur la faim des bébés : a-t-il vraiment faim se demandent les mères, les familles, et les soignantes, mais nous leurs attribuons nos sensations de faim d’adulte, précises, et souvent dramatiques –beaucoup de gens pensent que le bébé souffre quand son estomac est vide ;
  • sur la nécessité de dresser les bébés, de ne pas céder à leurs « caprices« , de les régler pour leur donner de « bonnes habitudes« , pour qu’ils « fassent vite leurs nuits« .

 

·       Faim ou pas faim ? Comment savoir quand ils sont si petits ? Quand il s’éveille, il cherche tout à la fois : la chaleur, les bras, les odeurs familières, le contact. Il a besoin de tout cela à la fois.

·       Regardez votre bébé : il est éveillé et prêt à être en relation avec vous : il vous suit du regard et capte le vôtre, il est attentif à votre voix.

·       Il montre qu’il est prêt à téter : il ouvre la bouche, il sort la langue, il cherche avec sa tête, il tète ses doigts, il salive. C’est le moment de lui présenter le sein.

·      Pourquoi attendre qu’il pleure ? Il serait alors stressé et peu collaborant.

 

Pour expliquer aux parents l’appétit du bébé, certains soignants utilisent encore des illustrations comparant la prétendue taille de l’estomac du bébé à une cerise, une noix, un œuf… Quand on sait que la veille de sa naissance, il avalait encore ½ L de liquide amniotique par 24h, ces explications ne tiennent pas la route. De plus, cela entretient la notion erronée que le niveau de remplissage de l’estomac détermine les comportements du bébé, exprimant un besoin nutritionnel précis. Rien de plus faux, évidemment.

Le bébé n’est pas un estomac avec alarme, mais un être relationnel, sensoriel, neurologique, doué de mémoire et d’un formidable besoin d’entrer en interaction et de s’attacher.

La mise en place de l’absorption alimentaire par la bouche se réalise via une stratégie bien huilée par l’évolution. Une des empreintes sensorielles intra-utérines est le débit. Durant la période du colostrum, il ne le retrouve pas. Le colostrum ne répond pas à ses besoins énergétiques et il mobilise ses réserves. Rappelons que le bébé humain est le plus grassouillet des bébés mammifères terrestres. Des réserves*, il en a, surtout s’il est à terme et bien potelé.

*Voir mon cours sur les équilibres énergétiques durant les premiers jours de vie, sur www.ingridbayot.com rubrique Programme

Les premières 24h, il récupère de sa naissance et ne rouspète pas trop. Ensuite, il entre dans la période des éveils agités ; il se réveille souvent, et se montre fébrilement avide de contact et de succion. Il trouve beaucoup de satisfaction dans les contacts, mais ne retrouve pas encore le débit, il demande et redemande le sein, cherche à téter et ne semble pas satisfait. Ce n’est pas confortable, ni pour lui ni pour sa maman, qui croit manquer de lait. Or, ces tétées fréquentes optimalisent sa montée de lait. Il est très important que les mères connaissent ce passage difficile, cette « naissance » de l’allaitement, qu’elles reçoivent du soutien, qu’elles ne soient pas seules durant cette traversée. Elle est transitoire et tout s’apaise avec la montée de lait.

 

La prématurité, l’immaturité, certains médicaments, les maladies, les problèmes neurologiques, l’irritabilité, les infections néonatales, l’hypoglycémie et les dépenses énergétiques causées par toute naissance difficile…

à diminuent le nombre, la durée et/ou la qualité des éveils spontanés.

à ces bébés-là nécessitent une vigilance spéciale, puisque l’on ne peut pas compter uniquement sur leurs éveils spontanés pour assurer leurs prises alimentaires. Il faudra donc les alimenter dès qu’ils dépasseront un laps de temps critique entre deux tétées. Mais pas en les forçant à aller au sein. Le colostrum ou le lait peuvent être extraits et donnés au compte-goutte ou à la cuillère.

 

Les premières semaines de vie : l’allaitement à l’éveil et aux signes.               

Placé dans des conditions physiologiques, le bébé cherche et capte le regard de sa mère, cherche le sein, le trouve, s’y place, tète et déglutit.

  • Le bébé en éveil somnolent n’est généralement pas très en recherche du sein, mais placé à plat ventre, en contact peau à peau sur sa mère, il peut, s’il est proche du sein et de la zone aréole-mamelon, commencer son approche.
  • Le bébé en éveil calme attentif est tonique, vigilant, réceptif et réactif aux stimulations, il cherche et suscite les interactions, il cherche activement le sein.
  • En éveil agité sans pleurs, il y arrivera aussi, mais sera moins coordonné : il sera nécessaire de l’aider à s’organiser.
  • En général, les périodes de sommeil ne sont pas des moments opportuns pour présenter le sein, mais le bébé posé en peau à peau sur sa mère, le nez et la bouche proche de la zone aréole-mamelon, peut faire des mouvements de recherche et de succion.

Le rythme des éveils, donc des tétées, reste très irrégulier, imprévisible, de jour comme de nuit. Les bébés ont tendance à se réveiller plus souvent entre 17 et 22h. Donc, il y aura plus de tétées dans cette période-là de la journée.

Après quelques semaines : l’allaitement à la demande.                

Sa demande devient à la fois plus variée et plus précise. Tantôt il se satisfait des bras, tantôt il a besoin de s’occuper par des interactions, tantôt il montre clairement qu’il désire le sein. Il devient alors pertinent de parler d’allaitement à la demande.

En effet, après quelques semaines (pour un bébé né à terme), la durée d’une période d’éveil excède largement le temps nécessaire à une tétée. Le bébé connaît mieux son environnement puisque, à chaque période de sommeil, il a mémorisé ses expériences.

Le bébé de quelques semaines connaît bien ce qu’il peut attendre et recevoir de sa mère et des personnes qui l’entourent. Sa demande devient à la fois plus variée et plus précise.

Les signaux assez automatiques et comparables du début se sont doucement transformés et différenciés, surtout si les parents ont pratiqué le parentage proximal, avec observation, reconnaissance et prise en compte de ses signaux.

Observez 10 dyades mère-bébé à la maternité : les signaux des bébés se ressemblent : ouverture de la bouche, mouvements de succion, recherche avec la tête… Il est simple de les montrer aux parents, même avec les photos d’un autre bébé.

Observez  10 dyades mère-bébé 3-4 semaines plus tard : la mère et le bébé ont cocréé une « chorégraphie » propre à eux qui leur permet de se comprendre. Et le bébé a évidemment sélectionné « ce qui fonctionne » et fait réagir ses parents. Par exemple,

  • les bébés de mère non-voyante vont privilégier les signaux tactiles et auditifs.
  • les bébés dont les parents ne réagissent qu’aux pleurs bruyants, « comprennent » qu’il faut produire des pleurs bruyants pour attirer un adulte.

 

Après quelques mois : l’allaitement « à l’amiable ».

On ne parle plus de période d’éveil, mais de « siestes » et de « nuits », plus ou moins longues et continues. Au cours d’une période d’éveil, le bébé est très expressif pour demander le sein et se fait bien comprendre. Mais si la réponse à sa demande tarde un peu, il est capable d’attendre un peu, et ce, d’autant plus que ses parents lui ont répondu rapidement dans les premiers temps où il en avait absolument besoin.

De plus, le bambin est progressivement capable de se représenter le monde extérieur, d’imaginer sa maman qui arrive, d’imaginer sa réponse totale à partir d’une réponse partielle destinée à le faire attendre.

Cet apprentissage progressif et positif de l’attente a plusieurs effets intéressants (outre celui d’offrir à sa mère un espace de négociation) :

  • le bambin se différencie d’elle et
  • admet un délai entre l’expression d’un désir et sa satisfaction.

Un atout indéniable pour la suite des évènements J

Plus tard encore, après le premier anniversaire, l’enfant apprend progressivement à manger en même temps que les adultes de sa famille ou de son groupe. À l’âge scolaire, l’uniformisation relative des horaires de repas facilitera la vie en société.

 

Cette vision évolutive : allaitement à l’éveil et aux signes, à la demande, à l’amiable, et acquisition progressive et par conditionnement, des rythmes sociaux, aide à envisager l’acquisition des rythmes alimentaires sur une longue période, en suivant les capacités de compréhension et d’adaptation de l’enfant.

Et délivre des pressions pour lui imposer « de bonnes habitudes » dès la naissance!

 

 

Ingrid Bayot est infirmière et sage-femme de formation belge ; elle a travaillé dans les différents domaines de la périnatalité. Elle a  obtenu en 2003 un Diplôme Universitaire en Lactation Humaine et Allaitement (DULHAM) à la Faculté de Médecine de Grenoble. Elle a suivi diverses formations en communication et en psychologie. Elle est formatrice en périnatalité pour Co-Naître® depuis 1992 (www.co-naitre.net ) et assure des formations en périnatalité et allaitement au Québec et en Europe. Elle est consultante pour le CIUSSS de l’Estrie, chargée de cours à l’UQTR dans le programme de Pratique Sage-femme au Québec. Elle est l’auteure de nombreux articles et du livre Parents futés, bébé ravi, Ed. Robert Jauze. Site www.ingridbayot.com

 


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