Le Regroupement Naissance-Renaissance (RNR) est un regroupement d’organismes communautaires en périnatalité qui œuvre à la croisée du mouvement d’humanisation des naissances, du mouvement féministe et du mouvement communautaire. Le RNR a lutté pour l’accouchement à domicile, pour le développement de nouvelles maisons de naissance, pour le régime québécois d’assurance parentale, pour la place des femmes et des familles dans les maisons de naissance, pour le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et entre les femmes elles-mêmes. Ces luttes ont été menées avec d’autres femmes qui croient en la capacité des femmes d’accoucher dans leur plein pouvoir et qui croient profondément que toutes les femmes qui choisissent d’avoir un enfant ont le droit de vivre leur maternité dans la dignité et le respect.
Le RNR fut fondé en 1980 par des femmes, des familles et des sages-femmes dans la foulée des colloques Accoucher où se faire accoucher auxquels plus de 10 000 femmes ont participé. Le RNR a été de toutes les luttes pour la réinstauration de la pratique sage-femme au Québec. Au cours des années, il a mis en place des coalitions, revendiqué des droits, développé des formations, réalisé des recherches et s’est mobilisé avec des milliers de militantes de tous horizons. Au fil des ans, le financement du RNR a fondu, entraînant une diminution importante des travailleuses (de 5 travailleuses à temps plein à 2 personnes à temps partiel). Cette situation financière toujours plus précaire est le lot des groupes communautaires. Pourtant, les enjeux auxquels les nouveaux parents se butent se sont multipliés. Se sont aussi multipliés, les groupes privés et lucratifs qui offrent leurs services en périnatalité aux parents-clients. Tout ça fait l’affaire des élus, qui eux mettent en place les outils pour orchestrer le désengagement du gouvernement envers les populations les plus démunies et qui mettent en place des lois contre l’engagement citoyen. Ainsi, les groupes communautaires poursuivant leur mission se sont trouvés de plus en plus obligés de tarifier pour leurs services et de trouver d’autres sources de financement. La société aussi a évolué, passant d’une société axée sur les droits universels à la santé, l’éducation et le bien-être de tous les humains à une société beaucoup plus individualiste. En conséquence, nous sommes tous moins disponibles pour faire la défense de droit, la sensibilisation, la formation et pour militer ensemble pour nos droits. C’est une vieille stratégie de nous obliger à nous tourner vers notre survie et ainsi nous éloigner de nos actions collectives. Mais les êtres humains sont résilients et les femmes et sages-femmes encore plus résilientes. On ne baissera pas les bras aussi vite que ça. On continuera de réclamer une pratique sage-femme et des accouchements à la hauteur de nos rêves.
Le lien entre les sages-femmes et les femmes n’est pas sorti indemne de tous ces chavirements de société et de l’impact opprimant du néo-libéralisme. Quand on s’insère dans un système, il faut prendre garde au loup qui guette dans des lieux sournois et parfois surprenants. Comment alors dénoncer les injustices et revendiquer des changements dans une société qui cherche tant à faire taire la dissidence ? Comment porter la voix citoyenne à ceux qui font la sourde oreille et qui se croient les seuls « expert(e)s » ? On n’a pas d’autre choix. C’est incontournable de faire preuve de créativité et de réinventer nos actions avec de nouvelles personnes qui à leur tour se questionnent sur le statu quo en obstétrique, qui optent pour des alternatives à la vision biomédicale de la grossesse et l’accouchement et qui trouvent des moyens créatifs pour continuer d’agir selon leurs convictions.
Depuis quelques années, on sent un vent de renouveau. Les étudiantes sages-femmes osent s’exprimer sur la place publique par des moyens ludiques et créatifs, des groupes se constituent pour se remémorer nos croyances profondes en le potentiel transformateur de l’accouchement, des sages-femmes autochtones œuvrent pour la réinstauration de leur modèle de pratique, des chercheurs se penchent sur des questions difficiles telles que la violence obstétricale, des groupes communautaires, des professionnel(le)s, des associations et même des entreprises osent dénoncer ensemble le démantèlement de nos services publics. Tout cela a insufflé un souvenir de notre puissance comme citoyen(ne)s et nous a rappelé notre grande créativité collective.
Devant tout cela, que fait le RNR? Il s’est retroussé les manches, a reconstruit ses alliances et s’est penché sur des questions difficiles :
Comment nommer et comprendre les souffrances et les détresses que continuent de vivre des milliers de femmes lors de leurs accouchements ?
Comment stimuler la fibre militante et citoyenne pour qu’elle surmonte ses propres peurs et ose dénoncer à nouveau les injustices et proposer des solutions alternatives ?
Comment entrer en dialogue avec les « experts » en obstétrique pour leur faire comprendre l’importance de respecter les droits des femmes en période périnatale ?
Comment actualiser notre mission et rallier nos membres et alliés pour des causes communes ?
Pour ce faire, on collabore avec des chercheurs, on apprend de nouvelles façons d’animer et de mobiliser, on explore de nouvelles avenues, on construit de nouvelles alliances, on continue de croire en la capacité humaine d’aimer, de respecter, de grandir ensemble, de s’ouvrir à de nouvelles possibilités. Et concrètement, ça veut dire quoi tout ça?
Depuis plusieurs années, le RNR cherche des moyens pour mettre en lumière des situations inacceptables qui perdurent. L’une des stratégies employées est la réalisation d’une étude exploratoire avec des chercheurs de l’Université de Montréal (Rodrigez del Barrio, Vadeboncoeur, St-Amant, Fontaire, & Hivon, 2010). Malgré toutes ces années de travail, il est encore considéré tabou de nommer violence ce que vivent de nombreuses femmes lors de leurs accouchements. Pourtant les mots qu’elles utilisent s’apparentent à ceux utilisés par des femmes victimes d’abus sexuels et de violence à caractère sexuel. Nous entendons trop souvent une souffrance profonde qui a le potentiel d’avoir un impact de longue durée sur la confiance qu’ont les femmes en leurs corps et en leurs capacités d’être mères. Cette première étude posait la question : « Est-ce que l’accouchement en établissement peut mener à de l’abus, de la négligence, voire même de la violence ? » L’analyse de plus de 100 récits d’expériences d’accouchements nous a révélé que la source des problèmes réside en grande partie dans la structure du système de soins entourant la maternité. Les pratiques, les protocoles, l’organisation des soins sont tous basés sur une efficacité qui nie la nature profondément personnelle de l’expérience de l’accouchement. C’est en grande partie la gestion active et la pathologisation d’un événement humain et la primauté du langage de risque et de peur qui ont un impact sur les attitudes des pourvoyeurs de soins et aussi sur les femmes elles-mêmes. Ce que nous dénoncions dans les années 80 a-t-il été normalisé, aseptisé, décoré, déguisé? Les résultats de cette recherche, non publiés encore, ont été présentés à plus d’une douzaine de colloques au Québec, au Canada et à l’international. Les résultats font également partie du cursus de la thèse doctorale en sémiologie de Stéphanie St-Amant, chercheuse qui nous rappelle l’histoire et qui nous invite à réinventer comment nous parlons de nos corps, nos accouchements et nos pratiques. Ces recherches ont déjà porté leurs fruits et trouvent résonance dans les études qui surgissent dans de multiples pays se posant des questions semblables.
Assistons-nous à l’implantation d’un nouveau paradigme entourant l’accouchement? Tel le changement de la marée dans la baie de Fundy, c’est précisément au tournant que la plus grande résistance est sentie. En même temps qu’on voit des attaques aux droits reproductifs, on assiste à la criminalisation du droit des femmes de choisir comment accoucher. C’est en dire long quand une femme américaine qui refuse une césarienne se voit arrêter par la police et imposer une césarienne de force pour finalement se faire enlever son bébé. Tout ça parce qu’elle a refusé de se soumettre au dictat médical. C’est en dire long quand une femme québécoise en train de réaliser un AVAC se voit imposer la méthode de Kristeller malgré ses cris de douleurs et sa demande répétée d’arrêter. Cette violence systémique révèle un système au service des protocoles et non au service des personnes qui devraient pourtant être au cœur des soins. Chaque fois que nous avons parlé de violence obstétricale devant des intervenants du réseau de la santé, ils deviennent très inconfortables, voire rébarbatifs et sur la défensive. Pourtant il ne s’agit pas d’accusation d’individus, mais plutôt d’analyse d’une structure très hiérarchisée et peu ouverte aux solutions de rechange à l’approche biomédicale. Je postule aussi que les intervenants eux-mêmes peuvent être traumatisés par la violence obstétricale et que les intervenantes communautaires telles les accompagnantes à la naissance et les étudiantes sages-femmes peuvent être victimes de violence vicariant (c’est-à-dire par ricochet de la violence témoignée à multiples reprises).
Dans les 10 dernières années, on a aussi vu l’apparition de lois définissant la violence obstétricale en Amérique latine; des initiatives internationales (Initiative internationale pour l’accouchement mèrEnfant, Respected Maternity Care de l’Alliance du ruban blanc) ainsi que des écrits sur le sujet en Europe (l’auteur Soo Downe, le CIANE, l’AFAR), des recherches dans les pays d’Afrique et d’Asie ainsi que de nombreux films plaidant le droit à l’intimité et l’importance de l’accouchement physiologique sur un plan tant personnel que sociétal. La déclaration de l’OMS sur l’importance du respect lors de l’accouchement est un tournant qui souligne que la qualité des soins dépend également de la qualité de l’expérience de la personne concernée. Ceci n’est qu’une infime partie des efforts faits partout dans le monde pour s’interroger sur la surmédicalisation de l’accouchement et prôner les bénéfices de la physiologie.
Lorsqu’une bonne idée trouve écho dans plusieurs pays et s’exprime presque simultanément par de nombreuses personnes c’est que nous assistons à un changement de paradigme. Prenons courage alors, car les résistances semblent se multiplier! Le RNR mène actuellement l’étude « Détresse, souffrance et violence lors de l’accouchement : de la clarification conceptuelle à l’élaboration de stratégies de transfert de connaissances », avec des chercheuses en sexologie à l’UQAM, Sylvie Lévesque (UQAM), Manon Bergeron (UQAM), Lorraine Fontaine (RNR) et Catherine Rousseau (UQAM). Les connaissances que nous acquérons seront importantes pour les femmes et les intervenant(e)s qui agissent auprès d’elles lors de la période périnatale et permettront la tenue de réflexions sur cette problématique émergente. Nous sommes persuadées que les résultats s’ajouteront aux nombreuses stratégies mises en place actuellement pour améliorer les soins et pour assurer le respect des droits de toutes les femmes et personnes qui accouchent en période périnatale.
Parallèlement à ces études, le RNR s’est formé auprès de Majo Hansotte, philosophe, auteure et animatrice belge qui a développé le concept et le processus d’intelligences citoyennes. Ce processus est pour nous, et toutes celles qui l’ont vécu, une réaffirmation de notre intelligence irréfutable comme citoyen(ne)s et un renouement avec le processus d’empowerment inspirant qui insuffle une nouvelle créativité dans les actions du RNR depuis quelques années. Nous l’avons adapté pour la réalité québécoise et la situation de la périnatalité dans le guide Maternité et intelligences citoyennes : Comment prendre sa place dans l’espace public, qui propose un processus interactif pour renouer avec notre voix citoyenne. Convaincues de la puissance et de la pertinence de cette méthode, nous nous sommes tournées à nouveau vers des femmes pour entendre leurs vécus et chercher ensemble de nouvelles voies. Cette fois-ci, certaines de l’importance d’une approche intersectionnelle, nous nous sommes tournées vers des femmes jusqu’alors peu en contact avec le mouvement d’humanisation des naissances. Le RNR a co-créé des ateliers sur le thème « maternité et dignité » avec des femmes vivant à l’intersection de nombreux systèmes d’oppression : femmes sourdes, jeunes, en situation de handicap, racisées, immigrantes, vivant en région éloignée, etc. Pour ce faire, nous avons fait de nombreuses démarches vers des groupes qui assurent des services à ces femmes et nous avons fait appel à des bénévoles incluant des étudiantes sages-femmes qui ont fait leurs stages avec nous. Nous avons donné des ateliers aux Îles-de-la-Madeleine, en Abitibi, à Rimouski et partout dans la région de Montréal avec des centaines de femmes. Leurs histoires et leurs idées ont été rassemblées dans un zine Maternité et dignité qui est disponible auprès du RNR et sur le blogue materniteetdignite.wordpress.com.
Devant les multiples stratégies employées pour faire taire nos voix citoyennes, je plaide que non, ce n’est pas l’affaire du passé ! La militance femmes et sages-femmes et citoyens et citoyennes de tous horizons est loin d’être désuète. Il est temps à nouveau d’unir nos voix pour clamer haut et fort ensemble que c’est assez. C’est le temps de se rallier à nouveau et de dénoncer les injustices vécues par bien trop de femmes venant des quatre coins de la terre et de tous horizons. Nous vous invitons donc à participer aux actions culminant par la Semaine mondiale pour l’accouchement respecté (SMAR) en mai 2016. Nous imaginons déjà des actions régionales autour des thèmes « maternité et dignité » et « violence obstétricale », des soirées cinéma, des panels de discussion et des conférences, des actions de défense de droits, des cafés-causeries, des lettres ouvertes dans les médias ainsi qu’une campagne dans les réseaux sociaux. Certes, on ne peut pas faire ça seules. Nous invitons les membres du RNR, les groupes et les femmes ayant participé aux ateliers « maternité et dignité » ainsi que tous les réseaux, alliances et personnes intéressés et préoccupés par le sujet à communiquer avec nous et à participer à ce qui pourrait être un des tremplins vers un nouveau paradigme entourant la naissance. Communiquez avec nous par courriel : info@naissance-renaissance.qc.ca ou par téléphone : (514) 392-0308.
Biographie de Lorraine Fontaine
Coordonnatrice au Regroupement Naissance-Renaissance (RNR)
Animatrice, conférencière et formatrice, Lorraine Fontaine travaille au RNR depuis 2002. Comme porte-parole des femmes et du mouvement communautaire en périnatalité, Lorraine Fontaine siège au nom du RNR sur des comités du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec ainsi que sur des comités d’initiatives internationales pour le respect des droits des femmes visant l’optimisation des soins maternels et infantiles. Elle a notamment contribué à la rédaction de la Charte internationale pour le droit des femmes en période périnatale mise de l’avant par la White Ribbon Alliance for Safe Motherhood.
À titre de coordonnatrice de la Coalition pour la pratique sage-femme, Lorraine a été porte-parole lors d’événements publics, de conférences de presse et de rassemblements devant l’Assemblée nationale. Son expérience de nombreuses années et son expertise dans l’approche globale et féministe de la santé des femmes amènent Lorraine Fontaine à participer à de nombreux lieux de concertations où elle bonifie les discussions et travaux par son analyse des enjeux politiques et sociaux liés aux droits des femmes en période périnatale. Sa capacité à rallier des partenaires autour de causes communes a mené à la réalisation de plusieurs recherches qui font avancer la réflexion collective sur les droits des femmes et des familles au Québec.